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Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
18 avril 2015

Une ondine de la vaporeuse Allemagne

 

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Décor de La Source, acte I - Maquette de Joseph Chéret

 

Charles de Vaudreuil à son père Emilien

 

Paris, 11 mai 1867

Mon cher Père,

Il y a déjà un bon moment que je ne vous avais pas entretenu de ballet. Voici que l’occasion s’en présente à nouveau, car on a repris hier soir La Source, cette fois avec Melle Adèle Grantzow, libérée pour l’été de ses obligations à Saint-Pétersbourg, car, vous le savez, M. Saint-Léon comme Melle Grantzow passent chacun les six mois de l’hiver à la cour de Russie. 

La Source avec Melle Salvioni était un joli ballet auquel il manquait une âme. La Source avec Melle Grantzow est un enchantement ! Le ballet reste un peu long, surtout donné après les deux premiers actes d’Alceste – auxquels j’avoue ne pas avoir pas assisté en entier – mais, pour le connaître par cœur, le libretto coule désormais avec limpidité. Si ma curiosité envers les exploits de la mise en scène s’est un peu émoussée, c’est avec un plaisir intact que j’attends l’apparition des différents personnages puis goûte tour à tour leurs évolutions comme leurs costumes ; je souris même doucement juste avant que Nouredda-Fiocre ne descende de son palanquin, coiffée de son élégant chapeau. Je savoure surtout la musique colorée de M. Delibes, dont je ne me lasse décidément pas.  

Puis il y a Melle Grantzow ! Voici enfin une ondine de la vaporeuse Allemagne, que n’eût point reniée M. Heine. Aérienne, elle danse avec une légèreté qui laisse pantois ; lorsqu’elle prend son envol, impossible de prédire où elle reposera son pied sur le sol. Virtuose de la pointe, elle exécute chaque pas sans heurt, comme s’il était d’une simplicité enfantine et ne lui coûtait aucun effort. Pleine de cœur et de grâce, elle mime avec justesse et sentiment et nous fait aimer et admirer cette bonne fée Naïla, qui se sacrifie pour un chasseur qui la dédaigne.  

Qu’eût donné le ballet avec Melle Ferraris ? Je ne le saurai jamais, mais M. Saint-Léon avait assurément conçu La Source pour Adèle Granztow et créé pour elle des pas propres à mettre ses grandes qualités en valeur. L’étoile a obtenu un triomphe et le ballet un succès éclatant, qu’il n’avait pas connu avec Melle Salvioni. C’est une véritable renaissance de l’œuvre, qui arrive fort à point pour charmer les innombrables visiteurs de l’Exposition.  

A propos de l’Exposition, j’ai pris le temps, la semaine dernière de visiter la section russe du Palais Omnibus ainsi que les quatre pavillons de bois finement dentelé, appelés « isbas ». La salle du Palais consacrée aux beaux-arts a eu, comme vous vous en doutez, ma préférence. On y voit une gigantesque mosaïque de verre émaillé, réalisée par quatre artistes, dont l’un se nomme Mouravieff, tout comme la danseuse que nous avons pu apprécier ensemble dans Giselle et Diavolina ! Clou de la salle, un vase de deux mètres de hauteur, aux anses recourbées reposant sur deux têtes de taureaux, étincelle de tous ses ors. On peut découvrir aussi des pièces d’orfèvrerie historiques, des pierreries et des émaux magnifiques, des habits caucasiens de velours brodé - qui ne ressemblent que de fort loin à ceux de la Source -, et des vêtements sibériens en peau de renne.  

L’intérieur de l’un des pavillons reconstituait une maison bourgeoise, donnant au visiteur l’impression d’être invité à prendre le thé à Moscou, dans une fine vaisselle aux reflets brillants. Une autre isba figurait au contraire une maison rustique, tapissée de peaux d’ours et de phoque. J’aurais aimé demander au gardien plus de détails sur la vie dans ce genre d’endroit, malheureusement il ne parlait que Russe ! Comme Saint-André me l’avait recommandé, j’avais pris soin d’effectuer ma visite un mardi : c’est en effet l’un des deux jours où, vers trois heures, des officiers au col raide montent en grande pompe les plus beaux chevaux du monde, appartenant aux écuries du Tsar. Je suis tombé en admiration devant trois de ces fiers animaux, au long cou de cygne et à la robe gris pommé, d’une race inconnue chez nous et qu’on appelle en Russie la race Orlov-Tchesmensky.  

A défaut de connaître les ballerines de Saint-Pétersbourg et d’avoir vu en ces contrées lointaines La Fille du Pharaon, le ballet tant vanté de M. Marius Petipa, je suis désormais un peu mieux au fait des choses de la Russie. Il est vraiment fort agréable de voyager ainsi sans bouger de Paris ! 

J’espère qu’avec les beaux jours de ce printemps, vous allez tout-à-fait bien et avez repris quelques promenades dans le parc.

Portez-vous bien, mon cher Père ! 

Votre fils respectueux.

Charles de Vaudreuil 

A suivre...

 

Notes 

Exposition universelle de 1867 : également appelée Exposition universelle d'art et d'industrie, elle est chronologiquement la seconde exposition universelle se déroulant à Paris après celle de 1855. Elle s'est tenue du 1er avril au 3 novembre 1867 sur le Champ-de-Mars.

Palais Omnibus : bâtiment central de l’Exposition de 1867, édifié au au Champ-de-Mars. Cette structure ovale abritait 74 km d’allées circulaires et était équipée d’un ascenseur hydraulique. Chaque pays occupait une part de ce gigantesque « gâteau » destiné à présenter les dernières innovations industrielles. 

Isbas du village russe : les quatre isbas de l’Exposition ensuite été démontées pour être transportées et reconstruites ailleurs, l’une à Saint-Cloud, les trois autres à Paris, villa Beauséjour, où on peut toujours les voir.

Chéret Joseph (1838-1894) : peintre, sculpteur et céramiste français.

Ferraris Amalia (1828-1904) : danseuse italienne. Elle dansa à l’Opéra de Paris à partir de 1856.

Delibes Léo (1836-1891) : compositeur français, auteur notamment de la musique des ballets Coppélia et Sylvia.

Fiocre Eugénie (1845-1908) :danseuse française de l’Opéra de Paris, réputée pour sa beauté. Elle interpréta souvent des rôles masculins, en travesti, comme il était de coutume à l’époque.

Grantzow Adèle (1845-1877) : danseuse allemande, en partie formée à Paris par Mme Dominique. Elle dansa à l'Opéra de Paris de 1866 à 1868.

Mouravieff (ou Mouravieva) Martha (1838-1879) : danseuse russe. Elle se produisit à l’Opéra de Paris en 1863.

Petipa Marius (1818-1910) : danseur et chorégraphe français. Fils du maître de ballet Jean-Antoine Petipa et frère cadet de Lucien Petipa, il fut engagé en 1846 comme premier danseur au Ballet impérial de Saint-Pétersbourg, où il devient maître de ballet en 1869. Il est l’auteur de ballets qui vont entrer dans le répertoire classique des grandes institutions  (La Belle au bois dormant, Casse-Noisette, Le Lac des cygnes, Don Quichotte, La Bayadère…)

Salvioni Guglielmina (née en 1842) : danseuse italienne. Elle dansa à l’Opéra de Paris de 1864 à 1867.

Saint-Léon Arthur (1821-1870) : danseur et chorégraphe français, auteur en particulier de La Source et de Coppélia. 

Giselle : ballet en deux actes, livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Théophile Gautier, musique d’Adolphe Adam, chorégraphie de Jean Coralli et Jules Perrot, 1ère représentation à l’Opéra rue le Peletier le 28 juin 1841.

Diavolina : ballet en un acte, livret et chorégraphie d’Arthur Saint-Léon, musique de Cesare Pugni, 1ère représentation à l’Opéra rue Le Peletier le 6 juillet 1863. 

La Fille du Pharaon : ballet en 3 actes et 9 tableaux,  livret de Jule-Henri Vernoy de Saint-Georges d’après Le Roman de la momie de Théophile Gautier, musique de Cesare Pugni, chorégraphie de Marius Petipa, 1ère représentation au théâtre impérial Bolchoï Kamenny de Saint-Pétersbourg le 18 janvier 1862.

 

 

 

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Commentaires
I
Je serais vraiment ravie de vous avoir onné l'envie de voir un ballet ! En attendant, voici un avant-goût de La Source version 2011-2014 : https://www.youtube.com/watch?v=wuh4URnMnio
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M
Le ton est délicieux. J'aime, vous le savez, ce style épistolaire... presqu'autant que le dix neuvième siècle. L'ensemble est agréable. Continuez et je prendrai goût au ballet au point peur être un jour de m'offrir le luxe d'assister à l'un d'entre eux.<br /> <br /> A bientôt,
Répondre
Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
  • En 1866 commence une correspondance imaginaire entre un fils et son père, ayant pour commune passion le ballet. Charles partage ses enthousiasmes de tout jeune abonné à l’Opéra de Paris avec son père Emilien.
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