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Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
27 juin 2015

Cette légèreté, cette noblesse, ce souffle vaporeux

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La Sylphide, Marie Taglioni 

 

Emilien de Vaudreuil à son fils Charles 

 

La Boissière, le 21 novembre 1867 

Ah mon cher fils,  

Si tu me demandes de te parler de mon premier spectacle à l’Opéra, je crains de ne pas en venir à bout en une seule lettre ! C’est que, vois-tu, cette première fois eut lieu à l’occasion d’une représentation historique, celle de la Sylphide, le 12 mars 1832. Après toutes ces années, je garde précisément cette date en mémoire, car elle marque pour moi une véritable révélation. Ce fut mon premier contact, non seulement avec le ballet, mais avec la poésie, le rêve, l’art, la beauté spirituelle ; toutes aspirations jusqu’alors restées vagues chez moi.  

Imagine ton père, jeune nigaud de dix-huit ans, ignorant de tout, frais émoulu d’un collège imprégné de strict latin. L’Opéra m’était bien inconnu, je n’avais pas la moindre idée de ce à quoi m’attendre. En compagnie de mes parents, je pris place ce soir-là pour la première fois dans notre loge de la rue le Peletier, celle que tu occupes désormais.  

Sur la scène un jeune homme habillé en Ecossais dormait dans un fauteuil, quand apparut une créature exquise, voltigeant, ressemblant à s’y méprendre à ces fées d’Ecosse qui vont dansant au clair de lune et dont parle si bien Walter Scott. Son costume était d’une fraîcheur ravissante ; on aurait dit qu’elle avait coupé sa robe dans une gaze de libellule et chaussé son pied de satin neigeux ; à ses épaules tremblaient deux petites ailes en plumes de paon. Bras croisés, la tête légèrement penchée, un doux sourire aux lèvres, prête à s'envoler au premier souffle, la Sylphide regardait dormir James, le jeune Ecossais.  

Tandis que le jeune homme s’éveille de ses songes délicieux, l’aérienne créature se glisse dans la cheminée et disparaît comme par enchantement. Il est temps pour James de revenir à la réalité ; il doit épouser Effie et se préparer à la noce. Mais sans cesse revient la Sylphide, se glissant entre le jeune homme et sa fiancée, prenant des poses aussi coquettes qu’évanescentes. Sur la scène, elle répand des charmes ineffables, de pudiques enchantements. Comment James saurait-il y résister ? Abandonnant là une Effie bien terrestre, il s’élance dans les bois à la poursuite de son rêve.  

Dans la forêt flotte un demi-jour bleuâtre. L’elfe charmant erre, la pointe du pied sur la pointe d’une fleur, comme un flocon de plume transporté par le vent. C’est un doux rêve blanc, enveloppé de mousselines transparentes, une vapeur poétique dans un clair-obscur magique. Sans cesse, avec une grâce spirituelle, la mutine Sylphide échappe à James, qui s’en agace. Aussi accepte-t-il bientôt la proposition de la sorcière Madge : elle lui concocte un voile magique grâce auquel il pourra ceindre sa fée et la tenir enfin dans ses bras. Pauvre James, ignorant qu’un rêve ne se capture pas plus qu’un papillon ! Infortunée Sylphide, convoitant comme un objet de frivolité ce voile éthéré auquel s’attache un funeste sortilège ! Pour l’heure, elle poursuit dans les airs ses jeux délicats, ses attitudes pleines de poésie, effleurant le sol d’une pointe impalpable. Quelle grâce fine et légère !  

Mais voici que James réussit à prendre la fée dans les plis de l’écharpe maléfique. Hélas, ce n’est pas un nouveau jeu ! La douce sylphide sent ses ailes se détacher et tomber, et la vie avec elles la quitter. Un long regard de surprise peinée, de regret, d’abandon, de pardon ; un œil bref et triste sur ses ailes perdues ; la voici qui s’affaisse et expire en quelques soubresauts légers, laissant James seul au cœur de la forêt hostile.  

Les applaudissements éclatèrent avec une force inouïe, rompant d’un coup l’enchantement qui me tenait sous son joug. Etait-ce donc cela la danse ? Cette légèreté, cette noblesse, ce souffle vaporeux ; cette envolée de la ballerine posée sur l’exquise pointe de son pied ! Ce que j’ignorais à l’époque, c’est que ce ballet, la Sylphide, n’était point un ballet ordinaire, comme il s’en donnait chaque soir à l’Opéra. Tout comme moi, la salle entière avait retenu sa respiration, avait été saisie, pétrifiée, envoûtée par une poésie jamais vue sur la scène. Je venais, sans le savoir, d’assister à un spectacle qui ferait date dans l’histoire de la danse autant que la bataille d’Hernani dans celle du théâtre. 

Ma prochaine lettre te parlera d’autres aspects de La Sylphide et de tous les artistes qui contribuèrent à faire de ce ballet un chef-d’œuvre. Après t’avoir dit mon enthousiasme personnel, je tenterai de t’expliquer mieux pourquoi cette œuvre rare révolutionna l’histoire du ballet.

A très bientôt, mon cher fils. Porte-toi bien.     

Emilien de Vaudreuil

A suivre... 

 

Notes 

Taglioni Marie (1804-1884) : danseuse italienne née à Stockholm, fille de Filippo Taglioni. Danseuse à l’Opéra de Paris de 1827 à 1837, elle y remporta un triomphe sans égal dans La Sylphide (1832). Elle est considérée comme la première et l’une des plus grandes ballerines romantiques. 

La Sylphide : ballet en deux actes, livret d’Adolphe Nourrit, musique de Jean Schneitzhoeffer, chorégraphie de Filippo Taglioni, 1ère représentation à l’Opéra rue le Peletier le 12 mars 1832.

Hernani, ou l’Honneur castillan : pièce de Victor Hugo, consacrant le genre du drame romantique. Elle fut représentée pour la première fois à la Comédie Française le 25 février 1830 et sa représentation déclencha la bataille d’Hernani, affrontement entre les classiques et les romantiques.

 

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Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
  • En 1866 commence une correspondance imaginaire entre un fils et son père, ayant pour commune passion le ballet. Charles partage ses enthousiasmes de tout jeune abonné à l’Opéra de Paris avec son père Emilien.
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