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Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
1 août 2015

En ce moment rien de bien enthousiasmant

 

a aaa blog hotel de ville

Hôtel de Ville de Paris - dessin de Charles Rivière 1867

 

Charles de Vaudreuil à son père Emilien

  

Paris le 14 décembre 1867

 

Mon bien cher Père, 

J’ai lu avec le plus vif intérêt vos deux longues lettres, qui m’ont fait imaginer ce qu’avait dû être l’apparition saisissante et féérique de Melle Taglioni dans La Sylphide. L’art des pointes et le costume vaporeux de la ballerine sont aujourd’hui si bien dans l’habitude qu’on a peine à imaginer qu’ils sont en somme une invention récente, datant de moins de quarante années. 

Votre anecdote à propos de l’infortuné « Schneitzhoeffer, prononcez Bertrand » m’a fait sourire. Mais est-elle seulement vraie ? J’ai été ému, aussi, de vous découvrir tout jeune homme, enchanté, subjugué par une irréelle fée errant dans sa forêt bleutée. 

En ce qui me concerne, j’ai ressenti cette émotion si vive qu’elle semble affecter jusqu’à l’âme, non pas lors de mon premier ballet – qui fut le bien charmant Diavolina – mais lorsque nous avons vu ensemble Giselle. A mon tour, je fus envoûté par ces ombres flottant au clair de lune dans une vapeur de gaze blanche. De plain-pied j’entrai dans un monde surnaturel, où le pâle fantôme de Giselle venait tendrement secourir l’homme qui l’avait trahie. C’est vraiment alors que je me pris pour le ballet d’un engouement qui ne se dément pas. Dois-je comprendre que je suis votre digne fils ? 

Il est bien dommage qu’on ne donne plus La Sylphide de nos jours, d’autant plus que l’Opéra ne produit en ce moment rien de bien enthousiasmant au point de vue de la chorégraphie. Je me contente des agréables divertissements de Guillaume Tell, qui ne sauraient toutefois remplacer un ballet entier. Jeudi dernier, c’est Melle Montaubry qui interprétait, fort joliment, le pas dansé de l’acte 1. Dans la Tyrolienne de l’acte 3 se produisait Melle Fioretti - toujours gracieuse, toujours charmante - entourée d’autres artistes de talent, comme Melles Beaugrand, Sanlaville, Fonta et Villiers.  

Entretemps, Paris se modernise chaque jour. On remarque, aux abords de l’Hôtel-de-Ville, des tranchées dans lesquelles M. Alphand fait poser des tuyaux qui alimenteront d’un gaz hydrogène pur les grands candélabres de la place. On dit le pouvoir éclairant de ce gaz trois fois plus fort que celui du carbure d’hydrogène employé actuellement. Cela devrait nous valoir bientôt des illuminations magnifiques, que je vous relaterai quand je les aurais vues.  

J’attends avec impatience la suite de votre récit des années glorieuses à l'Opéra « durant lesquelles le ballet attira les foules et scintilla comme jamais il ne l’avait fait ». Il m’arrive parfois d’avoir l’impression d’être né trop tard et que nous n’assistons plus de nos jours à de telles merveilles chorégraphiques. Mais il ne faut jurer de rien, l’avenir nous réserve peut-être de belles surprises.  

Adieu mon Père !  

Votre fils attentionné. 

Charles de Vaudreuil

A suivre...

 

 

Notes

Alphand Jean-Charles-Adolphe (1817-1891) : ingénieur des Ponts et chaussées, connu pour son travail d'embellissement de Paris.

Beaugrand Léontine (1842-1925) : danseuse française de l’Opéra de Paris, élève de Mme Dominique et de Marie Taglioni.

Fioretti Angelina (1846-1879) : danseuse italienne. Elle dansa à l’Opéra de Paris de 1863 à 1870.

Fonta Laure (Poinet dite Fonta) : danseuse à l'Opéra de Paris jusqu'en 1881.

Montaubry Blanche (Lehée dite Montaubry): danseuse à l'Opéra de Paris dans la seconde partie du 19ème siècle.

Sanlaville Marie (1847–1930) : danseuse française de l’Opéra de Paris. Elle interpréta souvent des rôles masculins, en travesti, comme il était de coutume à l’époque.

Schneitzhoeffer Jean Madeleine Marie (1785-1852) : compositeur français, professeur au Conservatoire, chef de chant à l’Opéra. Il composa la musique de plusieurs ballets, en particulier La Sylphide.

Villiers Adèle : danseuse à l'Opéra de Paris de 1853 à 1870.

Guillaume Tell : opéra en quatre actes de Rossini,  sur un livret d’Etienne de Jouy, 1ère représentation à l’Opéra rue le Peletier le 3 août 1829. Il comprenait d’importants divertissements dansés : un pas au premier acte et une « tyrolienne » au 3ème.

La Sylphide : ballet en deux actes, livret d’Adolphe Nourrit, musique de Jean Schneitzhoeffer, chorégraphie de Filippo Taglioni, 1ère représentation à l’Opéra rue le Peletier le 12 mars 1832.

Giselle : ballet en deux actes, livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Théophile Gautier, musique d’Adolphe Adam, chorégraphie de Jean Coralli et Jules Perrot, 1ère représentation à l’Opéra rue le Peletier le 28 juin 1841.

Diavolina : ballet en un acte, livret et chorégraphie d’Arthur Saint-Léon, musique de Cesare Pugni, 1ère représentation à l’Opéra rue Le Peletier le 6 juillet 1863.

 

 

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Commentaires
Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
  • En 1866 commence une correspondance imaginaire entre un fils et son père, ayant pour commune passion le ballet. Charles partage ses enthousiasmes de tout jeune abonné à l’Opéra de Paris avec son père Emilien.
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