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Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
7 septembre 2015

Dans sa chasse à l’oiseau rare

 

a aaa blog fanny et t E

 

 

La Boissière, le 27 janvier 1868 

 

Mon bien cher fils, 

Ainsi que tu me l’as demandé, j’entreprends aujourd’hui de te raconter les années glorieuses qui suivirent à l’Opéra le triomphe de La Sylphide. Pour commencer, il y eut d’innombrables représentations de ce ballet qui faisait fureur. Le succès de Marie Taglioni devenait sans cesse plus éclatant, son astre brillait au plus haut. On ne jurait que par elle, on l’adulait, elle mettait toutes les têtes à l’envers. Les élégantes aspirèrent à sa fragile et pâle apparence, adoptèrent la coiffure en bandeaux et le chapeau « sylphide ». Le blanc devint la couleur de prédilection, les ventes de mousseline, de tulle et de gaze s’envolèrent.  

Vinrent ensuite deux ballets chorégraphiés pour sa fille par Philippe Taglioni. Cependant, abandonné à son propre génie, sans la collaboration du poétique Adolphe Nourrit, il n’eut plus l’invention aussi heureuse. Ce fut d’abord Nathalie ou la laitière suisse, à vrai dire une œuvre assez niaise, mais la Taglioni était là ! En 1833, vint La Révolte au Sérail, un ballet plus habilement conçu, bénéficiant d’une mise en scène splendide qui recréait le décor de l’Alhambra de Grenade. Marie Taglioni y fut applaudie et fêtée comme si elle interprétait un nouveau chef d’œuvre, ce qui n’était pas le cas.  

Or la Divine, adorée des foules, sûre de trouver partout un fructueux engagement, devint capricieuse, acceptant mal de partager ses triomphes avec un partenaire, fût-il un danseur d’exception ; ainsi fut-elle exaspérée du succès obtenu par Jules Perrot dans La Révolte au Sérail. Elle se plaignit en sanglotant que les honneurs de la soirée ne lui avaient pas été exclusivement adressé :  

- N’est-il pas affreux qu’un danseur obtienne plus d’applaudissements  que moi ! C’est une trahison ! C’est une infamie ! se serait-elle exclamée.  

En matière d’argent, en dépit d’appointements et de feux somptueux, l’illustre aérienne avait également des exigences sans cesse nouvelles, car l’or coulait comme du sable entre ses mains. Tout cela finit par lasser le directeur de l’Opéra, avec qui les rapports devinrent difficiles.  

Ce directeur n’était autre que le Docteur Véron, personnage haut en couleur que je te décrirai en détail une autre fois. Sache dès à présent qu’il n’était pas homme à mettre tous ses œufs dans le même panier et à laisser reposer la gloire entière de l’Opéra sur les épaules d’une unique danseuse, fût-elle l'incomparable Sylphide. Mais où trouver une artiste capable de partager la souveraineté avec une Taglioni et, au besoin, de la remplacer ? Melle Duvernay, le plus brillant sujet de l’Opéra, n'était point de taille. Dans sa chasse à l’oiseau rare, Véron découvrit alors, du côté de Londres, deux danseuses autrichiennes dont on disait le plus grand bien : Fanny et Thérèse Elssler. Après avoir vu danser les deux sœurs, enchanté surtout par Fanny, la cadette, il leur proposa monts et merveilles afin de leur faire quitter Londres pour Paris.  

Ayant obtenu leur accord, il fit aussitôt multiplier dans la presse les entrefilets destinés à attirer l’attention du public sur les deux nouvelles recrues, sur Fanny en particulier ; les journalistes se mirent à distiller les louanges les plus flatteuses sur la grâce de ses bras, la beauté de ses épaules, l’élégance de son ensemble et la légèreté de sa danse. Le Courrier des théâtres et d’autres feuilles dévouées à Véron se répandirent en dithyrambes sur La Tempête, pièce dans laquelle devait débuter Fanny Elssler. On ne parlait plus alors que Tempête, on ne jurait que par La Tempête, on n’adorait que La Tempête.  

Paris, partagé avant l’heure, attendait de pied ferme la première apparition de Melle Fanny : les uns facilement oublieux et déjà prêts à acclamer un triomphe nouveau, les autres convaincus - tout comme moi - que nulle ne pourrait rivaliser avec leur bien-aimée Sylphide.  

J’arrête là pour ce soir et te dis adieu, mon cher fils. Reçois toute mon affection. 

Emilien de Vaudreuil

 

Notes

Elssler Fanny (1810-1884) : danseuse autrichienne. Elle dansa à Vienne, Naples, Berlin et Londres, avant de venir à l’Opéra de Paris en 1834. Elle fut la grande rivale de Marie Taglioni.

Elssler Thérèse (1808-1878) : danseuse autrichienne. Elle dansa à Vienne, Naples, Berlin et Londres, avant de venir à l’Opéra de Paris en 1834 avec sa sœur Fanny, plus célèbre qu’elle.

Nourrit Adolphe (1802-1839) : célèbre ténor français. Il a chanté à l’Opéra de Paris de 1826 à 1836. Il écrivit aussi le livret de La Sylphide.

Perrot Jules (1810-1892) : danseur et chorégraphe français à l’Opéra de Paris de 1830 à 1841. Il poursuivit sa carrière à Londres, Milan et Saint-Pétersbourg, avant de revenir enseigner à l’Opéra à partir de 1861.

Taglioni Filippo (1777-1871) : danseur et chorégraphe italien, père de Marie Taglioni. A l’Opéra de Paris, il a chorégraphie plusieurs ballets pour sa fille, notamment son chef-d’œuvre, La Sylphide.

Taglioni Marie (1804-1884) : danseuse italienne née à Stockholm, fille de Filippo Taglioni. Danseuse à l’Opéra de Paris de 1827 à 1837, elle y remporta un triomphe sans égal dans La Sylphide (1832). Elle est considérée comme la première et l’une des plus grandes ballerines romantiques.

Véron Louis-Désiré, docteur (1798-1867) : médecin, journaliste et homme politique français, directeur de l’Opéra de Paris de 1831 à 1835.

La Sylphide : ballet en deux actes, livret d’Adolphe Nourrit, musique de Jean Schneitzhoeffer, chorégraphie de Filippo Taglioni, décors de Pierre-Luc-Charles Cicéri, costumes d’Eugène Lami. Créé par Marie Taglioni et Joseph Mazilier, le 12 mars 1832.

Nathalie ou la laitière suisse : ballet en deux actes, livret et chorégraphie de Filippo Taglioni, musique d’Adalbert Gyrovetz et du prince Carafa, décors de Pierre-Luc Charles Cicéri, costumes d’Eugène Du Faget. Créé par Marie Taglioni et Joseph Mazilier, le 7 novembre 1832.

La Révolte au sérail ou la révolte des femmes : ballet en trois actes, livret et chorégraphie de Filippo Taglioni, musique de Théodore Labarre, décors de Pierre-Luc Charles Cicéri, Léon Feuchère, Edouard Despléchin et Léger-Larbouillat, costumes de Paul Lormier et Edmond Duponchel. Créé par Marie Taglioni et Joseph Mazilier, le 4 décembre 1833.

La Tempête ou l’île des génies : ballet en deux actes, livret d’Adolphe Nourrit et Jean Coralli d’après Shakespeare, musique de Jean Schneitzhoeffer, chorégraphie de Jean Coralli, décors de Pierre-Luc Charles Cicéri, Jules Diéterle, Charles Séchan et Edouard Despléchin, costumes de Charles Bianchini. Créé par Fanny Elssler et Joseph Mazilier, le 15 septembre 1834.

 

 

 

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Costume de Marie Taglioni pour Nathalie ou la laitière suisse

 

 

 

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Commentaires
I
Si je le fais c'est que j'adore ça ! Bon dimanche !
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M
c est tout à fait impressionnant cet investissement! a bientôt
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I
Merci ! Je passe de très longues heures à lire les journaux de l'époque.
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B
C EST intéressant ce blog et très documenté ! Myrtille
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Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
  • En 1866 commence une correspondance imaginaire entre un fils et son père, ayant pour commune passion le ballet. Charles partage ses enthousiasmes de tout jeune abonné à l’Opéra de Paris avec son père Emilien.
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