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Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
7 mai 2015

Vendue deux fois !

 

a aaa blog corsaire affiche

 

Emilien de Vaudreuil à son fils Charles

 

La Boissière, le 17 juin 1867

Mon bien cher fils,

Ah Le Corsaire ! Quel souvenir ! Cependant, prépare-toi à lire une longue lettre, ou même peut-être deux, car il y a beaucoup à dire sur ce ballet mémorable.

Le Corsaire de 1856 n’était pas exactement un ballet nouveau puisque le poème de Lord Byron, paru en 1814, avait inspiré assez rapidement les chorégraphes. C’est à la Scala de Milan qu’un nommé Galzerani produisit le premier Corsaire, en 1826. Puis l’Opéra de Paris donna en 35 un ballet tirant son inspiration de la même source : ce fut L'Ile des pirates, avec Fanny Elssler coiffée d'une petite toque en velours qui devint rapidement la folie des parisiennes. Il y eut aussi le Corsaire d’Albert, donné à Londres en 37, puis celui de Philippe Taglioni à Berlin en 38. Ensuite, M. Mazilier, se trouvant en 1840 à St Pétersbourg, composa pour Marie Taglioni, qui s’y trouvait aussi, L’Ecumeur des mers, toujours sur le thème des aventures du corsaire Conrad. Pour la musique, Joseph Mazilier fit appel à M. Adam qui, par coïncidence, séjournait lui-aussi en Russie, à croire que tous nos artistes n’avaient eu, la même année, rien de plus pressé que de fuir Paris pour ces contrées lointaines où la danse semble s’épanouir mieux que dans notre capitale.

L’écho du succès de L’Ecumeur des mers étant parvenu jusqu’en France, M. Crosnier, alors directeur de l’Opéra, demanda à Mazilier de remonter son œuvre à Paris pour l’étoile du moment, Carolina Rosati. Grande amatrice de ballets, l’Impératrice Eugénie s’enfiévra pour ce projet et fit elle même de nombreuses suggestions concernant le libretto, tant et si bien qu’on ne savait plus qui l’écrivait, de l’Impératrice ou de M. de Saint Georges. Ce dernier fut prié d'y apporter tellement de modifications, qu’une gratification de 3,000 francs supplémentaires lui fut accordée pour surcroit de travail.

Le Corsaire présenté le 23 janvier 1856 rue le Peletier fut pour finir un ballet en trois actes et cinq tableaux, sur un livret de M. de Saint-Georges (et de l’Impératrice), mis en chorégraphie par M. Mazilier sur une musique nouvelle d’Adolphe Adam. S’inspirant très librement du poème de Lord Byron, et tirant de ces vers las et romantiques un ballet d’action plein de péripéties et d’animation, M. de Saint-Georges avait habilement conçu son affaire. Les peintres, MM. Despléchin, Cambon, Thierry et Martin, s’étaient mis à quatre pour concevoir des décors grandioses ; le machiniste surtout, M. Sacré, avait déployé une industrie et un talent inimaginables, si bien que Le Corsaire s’est imprimé dans la mémoire des spectateurs d’abord pour son effroyable tempête finale.

L’héroïne du ballet, Medora est une jeune fille grecque, confiée aux soins d’un vieux tuteur sans scrupules, Isaac Lanquedem, propriétaire d’un bazar à Andrinople. Ne songeant qu’à arrondir sa fortune, Lanquedem vend sans broncher sa ravissante pupille à un pacha de l’île de Cos. C’est alors qu’intervient Conrad, un corsaire intrépide, qui sauve Médora en l’enlevant. Au premier coup d’œil, selon un sortilège propre aux ballets, le beau corsaire et la jolie pupille tombent dans les bras l’un de l’autre et, pour un court moment enchanté, Conrad emmène Médora dans son palais souterrain. Mais il y a comme de bien entendu un traître dans ce ballet ; il s’appelle ici Birbanto et s’arrange pour faire tomber Conrad dans un sommeil artificiel et reconduire illico la jeune Grecque chez son tuteur. A son tour, l’infâme vieux n’a rien de plus pressé que de livrer de nouveau sa pupille au pacha ! Qu'à cela ne tienne ! L’astucieux Conrad, costumé en derviche, s’introduit à son tour dans le palais du pacha. Las ! Conrad est à nouveau trahi par Birbanto ! Fines mouches, Medora et l’esclave Gulnare ont heureusement manigancé un tour : le pacha se marie avec Gulnare, croyant épouser Médora, qui en profite pour s’enfuir avec Conrad, à bord de son vaisseau.

Crois-tu que le ballet s’achève sur cette fin heureuse ? C’est là tout le génie du libretto : une tempête à glacer le sang survient juste au moment où tout s’arrangeait enfin. Tout d’un coup, un point noir apparaît à l’horizon, le sifflement du vent s’élève, l’obscurité descend, le ciel se frange de rougeurs sinistres, de sourdes décharges électriques éclatent dans le lointain. L’ouragan se déchaîne sur la mer en furie, un horrible craquement se fait entendre, le vaisseau et ses passagers sont engloutis. Tout le monde périt, sauf Conrad et Médora, rejetés sains et saufs sur un îlot, ce qui prouve qu’il y a un Dieu pour les amours, même les amours d’un pirate.

Pour ce soir, mon cher fils, j’estime que tu en sais déjà assez sur Le Corsaire. Je te souhaite une bonne nuit, dors du sommeil du juste et sois dispos demain pour lire la suite des événements.

Emilien de Vaudreuil

A suivre...

 

Notes

Adam Adolphe-Charles (1803-1856) : compositeur français, auteur de musique d’opéras comiques et de ballets, dont Giselle.

Cambon Charles-Antoine (1802-1875) : décorateur français de théâtre français, l'un des plus renommés de son époque.

Despléchin Édouard (1802) : décorateur français de théâtre français, l'un des plus renommés de son époque.

Martin Hugues (18..-18..) : peintre et décorateur de théâtre, contemporain de Rubé et Nolan.

Mazilier Joseph (1797-1868) : danseur et chorégraphe français. Maître de ballet à l’Opéra de Paris de 1852 à 1857.

Rosati Carolina (1826–1905) : danseuse italienne. Elle dansa à l’Opéra de Paris de 1851 à 1859.

Sacré Jean-Joseph (1806-1887) : machiniste de théâtre, notamment à l’Opéra de Paris.

Saint Georges Jules-Henri Vernoy de (1801-1875): auteur dramatique et librettiste français.

Thierry Joseph (1812-1866) : peintre décorateur de théâtre. 

Le Corsaire : ballet en 3 actes et 5 tableaux avec une épilogue apothéose, livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges d’après Lord Byron, musique d’Adolphe Adam, chorégraphie de Joseph Mazilier, 1ère représentation à l’Opéra rue le Peletier le 23 janvier 1856.

 

 

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Commentaires
G
J'attends la suite des péripéties du Corsaire !
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Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
  • En 1866 commence une correspondance imaginaire entre un fils et son père, ayant pour commune passion le ballet. Charles partage ses enthousiasmes de tout jeune abonné à l’Opéra de Paris avec son père Emilien.
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