Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
11 novembre 2015

Sérénade en l’honneur du maestro Rossini

 

gioacchino-rossini

 

 

Charles de Vaudreuil à son père Emilien

 

Paris le 19 février 1868 

Mon bien cher Père, 

Mille mercis pour vos deux dernières lettres, si riches en péripéties et détails dignes d’un archiviste de l’Opéra. Je suis toujours émerveillé de constater combien vos souvenirs de ballet sont vifs et précis. 

Je me suis particulièrement amusé d’apprendre que Melle Taglioni, toute Sylphide fût-elle, n’en avait pas moins des ambitions fort terrestres et des caprices parfois. Sans doute eût-elle été heureuse de savoir que, de nos jours, le danseur se contente de rôles mimés et n’a plus aucun motif de porter sérieusement ombrage à sa partenaire. Quant à Fanny Elssler, son talent devait être bien grand et bien original pour qu’elle ravisse en un seul soir une partie du public jusque là entièrement dévoué à la Taglioni, d’autant plus que, d’après ce que vous m’en dites, le ballet de La Tempête n’était pas le plus réussi du siècle. Le flair du docteur Véron ne l’avait, semble-t-il, pas trompé dans sa quête de l’oiseau rare ! Je serais très curieux d’en apprendre plus sur ce personnage qui semble avoir présidé aux destinées de l’Opéra avec une sagacité toute pittoresque.

Ici, les représentations de ballets se font rares, pour ma plus grande déception. Nous n’avons pour nous satisfaire que des reprises de La Source, qui se donne avec Le Trouvère. Soupirant après quelque création nouvelle, je vois et revois donc ce ballet qui avait tant de charme lorsque Melle Grantzow en était la fée. Melle Fioretti a repris le rôle de Naïla depuis Noël dernier, dansant avec beaucoup de correction, de vigueur et de légèreté. C’est une excellente élève qui fait honneur à ses maîtres, mais il lui manque un soupçon d’originalité et cette grâce qui fait apparaître la danse comme spontanée. Des trois interprètes que j’ai vues jusqu’à présent – Melles Salvioni, Grantzow et Fioretti – seule la seconde a emporté mon entier suffrage. Dans le rôle de la bohémienne Morgab, Melle Marquet est toujours autant applaudie ; par contre Melle Fiocre, en Nourreda, me semble avoir un peu moins de succès qu’à la reprise précédente. De leur côté, MM. Mérante et Coralli ont retrouvé chacun leur rôle – l’un de Djémil, l’autre de Mozdock - de façon satisfaisante.  

En ce moment, la grande affaire n’est pas cependant pas le ballet, mais l’opéra, avec la 500ème représentation de Guillaume Tell. Quelle gloire ! A cette occasion, j’ai assisté à une curieuse et sympathique sérénade offerte à Rossini par les musiciens de l’Opéra. A l’issue du spectacle, les chanteurs et l’orchestre, suivis d’une foule de badauds, se sont portés au domicile du maestro, à l’angle du boulevard des Capucines et de la Chaussée d’Antin. A minuit et quart, depuis la cour intérieure de l’immeuble, l’aubade a commencé par l’ouverture de Guillaume Tell. Probablement tiré de son sommeil, l’illustre maître, désormais bien âgé, s’est alors montré à sa fenêtre et a été salué par des acclamations enthousiastes. Il paraît qu’en Italie et en Allemagne, ces sortes de jubilés et d’ovations sont couramment prodigués, mais à Paris il s’agissait d’un événement rare.

Adieu, mon bien cher père, j’attendrai votre prochaine lettre avec un grand plaisir. Portez-vous bien.

Charles de Vaudreuil

A suivre...

 

Notes

 

Coralli Jean (1779-1854) : danseur et chorégraphe italien qui a fait sa carrière à l’Opéra de Paris. Maître de ballet à l’Opéra de 1831 à 1850.

 

Fiocre Eugénie (1845-1908) :danseuse française de l’Opéra de Paris, réputée pour sa beauté. Elle interpréta souvent des rôles masculins, en travesti, comme il était de coutume à l’époque.

 

Fioretti Angelina (1846-1879) : danseuse italienne. Elle dansa à l’Opéra de Paris de 1863 à 1870.

 

Grantzow Adèle (1845-1877) : danseuse allemande, partiellement formée par Mme Dominique à Paris. Elle dansa à l'Opéra de Paris de 1866 à 1868.

 

Marquet Louise (1834-90) : danseuse française de l’Opéra de Paris. Ses sœurs Delphine et Mathilde étaient également danseuses à l’Opéra.

 

Mérante Louis-Alexandre (1828-1898) : danseur et chorégraphe français, de l’Opéra de Paris. Maître de ballet à l’Opéra de 1869 à 1887. Il a interprété les premiers rôles masculins des ballets jusqu’à un âge avancé.

 

Salvioni Guglielmina (née en 1842) : danseuse italienne. Elle dansa à l’Opéra de Paris de 1864 à 1867.

 

Taglioni Marie (1804-1884) : danseuse italienne née à Stockholm, fille de Filippo Taglioni. Danseuse à l’Opéra de Paris de 1827 à 1837, elle y remporta un triomphe sans égal dans La Sylphide (1832). Elle est considérée comme la première et l’une des plus grandes ballerines romantiques.

 

Taglioni Marie (1804-1884) : danseuse italienne née à Stockholm, fille de Filippo Taglioni. Danseuse à l’Opéra de Paris de 1827 à 1837, elle y remporta un triomphe sans égal dans La Sylphide (1832). Elle est considérée comme la première et l’une des plus grandes ballerines romantiques.

 

Véron Louis-Désiré, docteur (1798-1867) : médecin, journaliste et homme politique français, directeur de l’Opéra de Paris de 1831 à 1835.

 

La Sylphide : ballet en deux actes, livret d’Adolphe Nourrit, musique de Jean Schneitzhoeffer, chorégraphie de Filippo Taglioni, 1ère représentation à l’Opéra rue le Peletier le 12 mars 1832.

 

La Tempête ou l’île des génies : ballet en deux actes, livret d’Adolphe Nourrit et Jean Coralli d’après Shakespeare, musique de Jean Schneitzhoeffer, chorégraphie Jean Coralli, 1ère représentation à l’Opéra rue le Peletier le 15 septembre 1834. 

 

Rossini Gioachino (1792-1868) : compositeur italien, auteur d’opéras, dont Le Barbier de Séville, La Cenerentola et Guillaume Tell.

 

Guillaume Tell : opéra en quatre actes de Gioachino Rossinie, livret d’Etienne de Jouy et Hippolyte Bis d’après la pièce de Schiller. Créé le 3 août 1829 à l’Opéra de Paris. 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
  • En 1866 commence une correspondance imaginaire entre un fils et son père, ayant pour commune passion le ballet. Charles partage ses enthousiasmes de tout jeune abonné à l’Opéra de Paris avec son père Emilien.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Pages
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 17 476
Publicité