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Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
6 juin 2015

Un ballet en tous points digne de l'Opéra

 

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Le Corsaire, estampe

 

Charles de Vaudreuil à son père Emilien

 

Paris, le 25 octobre 1867 

Mon cher Père,

Mardi dernier, le 22 octobre, j’étais rue Le Peletier pour La Fiancée de Corinthe, nouvel opéra en un acte de MM. Du Locle et Duprato, et surtout pour la reprise du Corsaire avec Melle Grantzow. Il est assez piquant d’avoir réuni dans une même représentation ces deux œuvres qui, toutes les deux, tirent leur intrigue de la mer, avec un marin dans La Fiancée de Corinthe et un pirate dans Le Corsaire.

Que vous dire de ce nouvel opéra, si ce n’est que Melle Mauduit a chanté avec feu, contrairement à Melle Bloch, dont la voix m’a semblé assez trouée et bien usée ? M. David, lui, chevrotait curieusement. Je manque sans doute d’indulgence, mais, vous le savez, mes goûts ne me portent pas naturellement vers l’opéra. La partition m’a paru savante et habile, sans pour autant faire preuve d’une originalité franche. Quant au livret, c’est une sombre histoire, que je vous épargnerai.

La reprise du Corsaire m’enflammait bien davantage. Votre récit de ce ballet avait comme il se doit attisé ma curiosité et j’étais impatient de voir à mon tour ce spectacle, de découvrir aussi ce que Melle Grantzow ferait du rôle de l’infortunée Médora, soumise à tant de vicissitudes. Je vous le dis tout de suite, elle en a fait un succès, ce que laissait présager la manière dont elle avait dansé dans La Source. Aussi, le public applaudissait-il de lui-même à tout rompre, sans même laisser à la claque le temps de faire son ouvrage.

Reprenant le rôle de Médora créé par Melle Rosati, Melle Grantzow fut saluée dès son entrée par une triple salve d’applaudissements. Dans tous ses pas elle a montré un mélange de candeur et de grâce, avec de la vigueur aussi, mais escamotée sous le velours. Jusqu’à la fin du ballet, elle a excité le plus vif enthousiasme, qui fut porté à son plus haut sommet lors du Pas des Fleurs : c’est un écho qui n’existait pas en 56, lorsque vous avez vu ce ballet. Ajouté tout spécialement pour Melle Grantzow par M. Delibes, c’est une valse exquise, suggérant par ses sonorités délicates et vives un jardin animé par des fleurs qui s’ouvrent à la vie.

Melle Fioretti obtint de son côté un joli succès pour son interprétation du rôle de l’esclave Gulnare, de même que Melle Marquet qui était Zulmea. Messieurs les danseurs, qui ne dansent pas et se contentent de mimer, ont recueilli leur part d’applaudissements : M. Mérante, qui ne se décide pas à quitter la scène, mime avec vigueur - sinon avec vraisemblance - le rôle du jeune et beau corsaire ; M. Coralli est très fourbe dans le rôle du traître Birbanto, M. Dauty très comique dans le personnage du pacha, M. Cornet très vil sous les traits d'Isaac Lanquedem.

J’ai trouvé à la musique de M. Adam beaucoup de verve, un caractère assez mélodieux et une forte intensité dramatique, notamment au moment du naufrage, dont les péripéties sont rendues avec une illusion complète : la scène de l’Opéra semblait avoir tout à coup pris les proportions d’une vaste mer ; la vérité n’est pas plus saisissante ! Assortis aux décors de façon pittoresque, les costumes n’ont pas moins d’éclat.

L’Empereur et l’Impératrice assistaient à la représentation et ont, à plusieurs reprises, donné le signal des applaudissements. J’étais moi-même ravi de ma soirée. Il était temps de tirer Le Corsaire de son sommeil de presque dix années ! Espérons qu’il ne retombera pas ensuite dans l'oubli et qu’il sera désormais régulièrement donné, car c’est  un ballet en tous points digne de l'Opéra de Paris.

J’espère qu’il vous amusera de comparer mon récit avec vos souvenirs et vous souhaite, mon Père, la meilleure santé du monde.

Avec tous les respects de votre fils.

Charles de Vaudreuil.

 

Notes 

Adam Adolphe-Charles (1803-1856) : compositeur français, auteur de musique d’opéras comiques et de ballets, dont Giselle.

Coralli Jean (1779-1854) : danseur et chorégraphe italien qui a fait sa carrière à l’Opéra de Paris. Maître de ballet à l’Opéra de 1831 à 1850.

Delibes Léo (1836-1891) : compositeur français, auteur notamment de la musique des ballets Coppélia et Sylvia.

Duprato Jules (1827-1892) : compositeur français.

Fioretti Angelina (1846-1879) : danseuse italienne. Elle dansa à l’Opéra de Paris de 1863 à 1870.

Grantzow Adèle (1845-1877) : danseuse allemande, partiellement formée par Mme Dominique à Paris. Elle dansa à l'Opéra de Paris de 1866 à 1868.

Marquet Louise (1834-90) : danseuse française de l’Opéra de Paris au XIXème siècle. Ses sœurs Delphine et Mathilde étaient également danseuses à l’Opéra.

Locle Camille du (1832-1903) : librettiste, co-directeur de l’Opéra Comique de 1870 à 1874.

Mauduit Eugénie (née en 1845) : chanteuse d’opéra française. Elle a chanté à l’Opéra de Paris de 1865 à 1875.

Rosati Carolina (1826–1905) : danseuse italienne. Elle dansa à l’Opéra de Paris de 1851 à 1859. 

Le Corsaire : ballet en 3 actes et 5 tableaux avec une épilogue apothéose, livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges d’après Lord Byron, musique d’Adolphe Adam, chorégraphie de Joseph Mazilier, 1ère représentation à l’Opéra rue le Peletier le 23 janvier 1856. Dans le final, un navire faisant naufrage défraya la chronique.

La Fiancée de Corinthe : opéra de Jules Duprato, 1ère représentation à l’Opéra rue le Peletier le 22 octobre 1867.

 

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Commentaires
I
Voici ce que j'ai trouvé dans Wikipedia qui n'est évidemment pas la source la plus sûre :<br /> <br /> " Il reste à l'affiche pendant deux ans et sera repris en 1867 à l'occasion de l'exposition universelle. Lors de cette reprise, un grand pas est ajouté en l'honneur de la danseuse Adèle Grantzow qui interprète Médora : la musique de ce Pas des fleurs est commandée à Léo Delibes."<br /> <br /> Il semble bien que la musique du Pas des fleurs ait été spécialement commandée pour la reprise de 67, donc après la création de la Source.
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I
Vous me faites douter du coup ! Je suis ravie que vous ayez trouvé le moyen de commenter !
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I
Non, je ne pense pas. C'est me morceau de musique sur lequel Petipa chorégraphia plus tard le tableau du Jardin animé dans sa version du Corsaire.<br /> <br /> Merci de lire et commenter mon blog ! Très bonne journée à vous !
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F
Le "Pas des Fleurs", n'était-ce pas cette valse dansée dans La Source... ?
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Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
  • En 1866 commence une correspondance imaginaire entre un fils et son père, ayant pour commune passion le ballet. Charles partage ses enthousiasmes de tout jeune abonné à l’Opéra de Paris avec son père Emilien.
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