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Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
22 décembre 2016

Melle Grantzow, comblée de roubles

 

Quelques_croquis_sur_Le_Corsaire_[

Quelques croquis sur Le Corsaire à l'Opéra (1867) : [estampe] / Félix Y. [sig.]

 

Charles de Vaudreuil à son père Emilien

Paris, le 26 avril 1868

 

Mon bien cher Père,

J’ai pris, comme toujours, le plus vif plaisir à découvrir sous votre plume le ballet de La Fille du Danube, qui n’est plus guère dansé aujourd’hui. D’ailleurs, que danse-t-on aujourd’hui à l’Opéra ? Hormis le divertissement d’Hamlet, il y avait deux grands mois que nous n’avions pas eu un ballet dans toute sa longueur, depuis la dernière représentation de La Source, que j’aime certes beaucoup, mais qui perd de son charme à force d’être donné.

Cependant, je ne devrais pas me plaindre, car voici enfin la danse qui nous revient en même temps que Melle Grantzow revient de Russie, comblée, dit-on, de roubles et de diamants. Comment s’étonner ensuite si les plus grandes danseuses passent à Paris telles des étoiles filantes, alors que tant de sonnants et trébuchants honneurs les attendent ailleurs ?

L’affiche réunissait à nouveau La Fiancée de Corinthe, petit opéra poétique de MM. Du Locle et Duprato, et le ballet du Corsaire avec Melle Grantzow. Vous devinez aisément pour quelle partie du spectacle j’étais vendredi soir dans notre loge et quelle était ma soif de revoir la pétulante ballerine qui avait manqué trop longtemps à notre capitale. Le public dans son ensemble partageait mon attente car, à peine Melle Grantzow avait-elle mis un pied sur la scène, que son retour était salué par un vacarme d'applaudissements qui allait se répéter à chacun de ses pas.

Reprenant avec verve le rôle de Médora, la ballerine, que ses roubles n’avaient point alourdie, en fit encore une fois un triomphe.Dans tous ses échos, elle a montré ce mélange de vigueur et de velours qui la caractérise, nous prodiguant les dons que lui ont valu une riche nature et de longues études sous la direction de son maître Saint-Léon. Dans la fleur pleinement épanouie de son talent, Médora, la belle esclave, pétille de charme et d’esprit plus que jamais. C’est dans le Pas des Fleurs, auquel les sonorités si vives et légères composées par M. Delibes donnent une verve spécialement gracieuse, que le triomphe de Melle Grantzow fut une nouvelle fois à son plus haut. Aussi quels bravos ! Quelle pluie de bouquets ! Quelle ovation sans pareille ! L’Empereur et l’Impératrice étaient dans la salle et l’Impératrice, qui porte au Corsaire l’intérêt que l’on sait, n’était pas la dernière à applaudir.

Melle Fioretti, fine et légère dans le rôle de Gulnare, a eu aussi sa large part de bravos et c’est justice, car le talent de cette méritante artiste grandit chaque jour. Dans le rôle de Zulméa, Melle Marquet fut charmante. Quant à M.M. Mérante et Coralli, qui étaient respectivement Conrad et Birbanto, ils mimèrent fort honorablement.

Il fait bien froid et humide à Paris pour un mois d’avril, mais je me console à l’idée qu’après une longue abstinence le ballet est de retour à l’Opéra. Nous verrons encore deux fois Le Corsaire ce mois-ci, demain et encore le 29, et, ce qui me plaît par-dessus tout, le premier acte de Giselle, toujours avec Adèle Grantzow, le premier mai.

De votre côté, prenez bien soin de vous, mon cher Père, vous savez combien votre santé m’est précieuse.

Votre fils attentionné.

Charles de Vaudreuil

 

Notes : 

Coralli Eugène (1834-1870) : danseur à l’Opéra de Paris, fils du grand chorégraphe et danseur Jean Coralli

Delibes Léo (1836-1891) : compositeur français, auteur notamment de la musique des ballets Coppélia et Sylvia.

Fioretti Angelina (1846-1879) : danseuse italienne. Elle dansa à l’Opéra de Paris de 1863 à 1870.

Grantzow Adèle (1845-1877) : danseuse allemande, partiellement formée par Mme Dominique à Paris. Elle dansa à l'Opéra de Paris de 1866 à 1868.

Marquet Louise (1834-90) : danseuse française de l’Opéra de Paris. Ses sœurs Delphine et Mathilde étaient également danseuses à l’Opéra.

Mérante Louis-Alexandre (1828-1898) : danseur et chorégraphe français, de l’Opéra de Paris. Maître de ballet à l’Opéra de 1869 à 1887. Il a interprété les premiers rôles masculins des ballets jusqu’à un âge avancé.

Saint-Léon Arthur (1821-1870) : danseur et chorégraphe français, auteur en particulier de La Source et de Coppélia.

La Source : ballet en trois actes et quatre tableaux, livret de Charles Nuitter et Arthur Saint-Léon, musique de Léo Delibes (acte 1 et 3) et Léon Minkus (acte 2), chorégraphie d’Arthur Saint-Léon, décors d’Edouard Despléchin, Jean-Baptiste Lavastre, Auguste Alfred Rubé et Philippe Chaperon, costumes de Paul Lormier et Alfred Albert. Créé par Guglielmina Salvioni et Louis Mérante le 12 novembre 1866.

La Fiancée de Corinthe : opéra en un acte, livret de Camille Du Locle, musique de Jules Duprato. Créé à l’Opéra rue le Peletier le 21 octobre 1867.

Hamlet : opéra en cinq actes, paroles de Michel Carré et Jules Barbier, musique d’Ambroise Thomas. Créé à l’Opéra le 9 mars 1868.

Le Corsaire : ballet en 3 actes et 5 tableaux avec une épilogue apothéose, livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges d’après Lord Byron, musique d’ Adolphe Adam, chorégraphie de Joseph Mazilier, 1ère représentation   le 23 janvier 1856. Dans le final, un navire faisant naufrage défraya la chronique.

Guillaume Tell : opéra en quatre acte de Gioachino Rossini, livret d’Etienne de Jouy et Hippolyte Bis d’après la pièce de Schiller. Créé le 3 août 1829 à l’Opéra de Paris.

 

 

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Commentaires
I
Merci Elisabeth ! ça me fait plaisir !
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G
A chaque fois que je vous lis, j'apprends toujours quelque chose ! <br /> <br /> Et il y a même de l'humour : "la ballerine, que ses roubles n’avaient point alourdie"<br /> <br /> merci encore pour ces délicieux billets qui sont si agréables à lire.
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I
Oui, les balletomanes ou journalistes du 19ème siècle avaient un certain humour !
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M
comme toujours super! et les croquis j'adore!!!! :-)
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Le ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
  • En 1866 commence une correspondance imaginaire entre un fils et son père, ayant pour commune passion le ballet. Charles partage ses enthousiasmes de tout jeune abonné à l’Opéra de Paris avec son père Emilien.
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